Animer des écosystèmes vertueux, condition sine qua non de la reprise

par Emmanuel Olivier, Directeur Général d'Esker

1917. Dans son discours d'investiture, Clemenceau clame haut et fort que la victoire ne sera possible que dans une France capable de faire " front commun contre l'ennemi ". Un siècle plus tard, la guerre a changé de visage, mais l'impératif de solidarité demeure. Il est bien sûr déterminant sur le front sanitaire, mais aussi sur le front économique.

En effet, indépendamment du plan de relance et de son déploiement accéléré, une sortie de crise ne sera possible que si les entreprises jouent le jeu d’une gouvernance vertueuse. Concrètement, cela implique de changer de prisme culturel : aucun acteur économique ne peut plus se considérer comme « un empire dans un empire »1. Chacun fait partie d’un tout avec lequel il entretient des relations d’interdépendances étroites. Autrement dit : pour assurer leur croissance, les entreprises doivent fonctionner en écosystèmes efficients.

La puissance du collectif

Pendant longtemps, on a caricaturé les relations entre êtres vivants comme une lutte acharnée pour la survie des individus. Or, il semblerait que l’entraide, « autre loi de la jungle »2, soit « un trait de la plus haute importance pour le maintien de la vie, la conservation de chaque espèce et son évolution ultérieure. »3 Et si les relations interentreprises fonctionnaient de la même manière ? La crise du Covid nous a prouvé que le malheur des uns ne faisait pas nécessairement le bonheur des autres. Pour une société qui met la clé sous la porte, c’est toute une chaîne de clients, de fournisseurs et de collaborateurs qui accuse des difficultés dramatiques. On le voit dans le secteur de l’aéronautique, particulièrement touché. On le constate également dans l’ agroalimentaire, pour lequel Serge Papin4 appelle à une « paix des braves ». Dans un monde soumis à des perturbations aussi violentes qu’imprévisibles, la performance individuelle n’offre plus une garantie de survie suffisante. Aussi brave soit-il, le dernier des Mohicans ne sera jamais que le dernier à mourir. Dans cette perspective, les acteurs économiques doivent apprendre à fonctionner en écosystème. Les entreprises qui se partagent les parts d’un même marché sont moins des concurrents que des coopétiteurs, et la disparition de l’une d’entre elles n’est jamais une bonne nouvelle. Burger King l’a bien compris, et n’a pas hésité à inviter les Français à commander chez McDonald pendant le confinement !

En finir avec une culture de la féodalité

Pour composer avec ces nouvelles règles, les entreprises françaises doivent radicalement repenser leur culture. Il leur faut, pour commencer, renier l’enseignement keynésien qui affirme que « le long terme est un mauvais guide pour les affaires courantes. » Le diktat du résultat trimestriel n’est plus de mise à l’heure où l’urgence climatique et la crise sanitaire nous imposent, précisément, de penser l’après-demain. En changeant d’horizon temporel, les organisations seront plus à même d’assainir leurs relations avec leurs parties prenantes et donc d’animer un écosystème vertueux. Pour l’heure, les rapports interentreprises sont encore teintés d’une vision féodale selon laquelle le plus puissant impose ses règles.  "Je suis le plus gros, le plus costaud, j’interromps notre relation commerciale", déplorait Pierre Pelouzet, médiateur des entreprises, pendant le confinement. Sans surprise, les entreprises qui assujettissent leurs prestataires appliquent en interne un fonctionnement inégalitaire. La structure "libérée" cache bien souvent un management pyramidal ainsi qu’un manque de considération criant envers les "fonctions support", considérées comme des emplois de seconde zone. Or, dans un écosystème vertueux, il n’y a ni maître ni esclave. Les entreprises construisent leur croissance avec et pour leurs clients, leurs partenaires et leurs collaborateurs.

Créer de la valeur en continu

L’écosystème vertueux, enfin, sait s’adapter au changement et en tirer le plus grand bénéfice pour tous. A l’annonce du confinement, nombreuses sont les sociétés qui ont accéléré leurs projets de transformation numérique et donc maintenu un minimum d’activité. De fait, comme le rappelait McAfee, la situation aurait été bien pire il y a dix ou vingt ans ! Mais aujourd’hui, l’enjeu n’est plus d’atténuer le pire, il est de créer de la valeur en continu. En effet, la pandémie a mis au jour une crise de sens énorme. Plus aucune entreprise ne fait l’économie d’une réflexion sur sa raison d’être. Plus aucun talent n’assume de se diriger vers un "bullshit job". Certes, la pression du cours de bourse continue de faire et défaire les équipes dirigeantes : on l’a vu, récemment, chez Danone. Mais le sens de l’histoire est bien d’articuler tactique court terme et vision stratégique. Dans ce contexte, l’organisation qui se focalise sur la seule réduction des coûts se condamne à une mort certaine. Si l’innovation et la technologie sont au cœur de toute résilience, leur rôle ne peut plus être d’externaliser des fonctions dont on a réalisé, à la faveur du confinement, qu’elles étaient indispensables ! Au contraire, les entreprises ont tout à gagner à investir pour éliminer les tâches fastidieuses, accompagner l’évolution des métiers et mieux servir leurs clients. En faisant collectivement le choix du long terme, elles accélèreront la sortie de crise. Mais plus encore, elles renforceront leur culture, c’est-à-dire un des actifs les plus pertinents pour alimenter une croissance durable dans un contexte d’incertitude chronique.

1 Spinoza
2 Gautier Chapelle et Pablo Servigne
3 Kropotkine L’entraide. Un facteur de l’évolution
4 Ancien Président de Système U

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